|
[ MOTS DU COEUR ] [ PHOTOS ] [ MOTS D'AMOUR ] [ PENSEES ] [ PUBLICATIONS ] [ FACEBOOK ]
|
|
|
|
À MON PETIT FRÈRE ROBERT
26/09/2011 10:53
Ce que je vais vous raconter se déroula lors d'un de ces indescriptibles jours, un de ces impondérables demain ! Dans une salle d’hôpital, un petit berceau de fer-blanc équipé d’une tente à oxygène. Sous ce dôme de plastique, un tout petit enfant de huit mois qui lutte contre la maladie. Il s’appelle Robert, mais nous le surnommons Bob, sans doute en souvenir des libérateurs américains pour qui ma mère avait une grande reconnaissance. Il faut dire que nous étions en mille neuf cent quarante-huit, trois ans seulement après la signature de l’armistice. C’est la mise à l’épreuve de la mort, la vie mise en péril par la maladie narquoise qui vous laisse entendre qu'elle qu’à ce jeu elle est toujours gagnante. C’était le combat d’un tout petit garçon resplendissant de vie quelques heures plus tôt, c’était l’ombre de la mort qui planait au-dessus du berceau de fer-blanc ! Mes parents avaient traversé la guerre en funambules sur le fil de la vie, sur celui de la mort ! La vie avait été de notre côté, et nous sortîmes indemnes de ce cauchemar ! C’était si réconfortant que nous avions replongé à corps perdu dans la vie, et l’avions célébré en accueillant Jacques, et Robert parmi nous. Deux magnifiques petits garçons roses, et ronds à qui tout semblait sourire. Mais le bonheur n’est pas un dû, il a un prix correspondant à ce qu’il nous donne ! Pour six vies offertes, il allait en reprendre une, et anéantir notre famille. Certes, notre existence partagée entre vaches grasses, et maigres n’est pas au summum de la joie, mais c’est probablement notre karma, celui que nous avons créé de toutes pièces lors de nos précédents voyages. Alors, nous faisons avec lui sans nous plaindre jusqu'au moment où de six nous passons à cinq. Le vent tournait, la boussole de notre existence perdait le nord, et plus jamais ne le retrouverait ! À l’hôpital Lariboisière, un petit garçon de huit mois respire par l'intermédiaire d'un tuyau rempli d’oxygène parce que ses poumons affaiblis n’assurent plus leur rôle. Une petite fille de six ans passe la majeure partie de son temps auprès de lui, elle est là pour tous les autres qui ne le peuvent. Elle ne pense pas à la mort parce qu'elle ignore sa signification, mais la maladie elle connait, et pour la première fois elle rend grâce à celle qui lui permet d’être là.
Alors, même si pour Robert la situation est plus compliquée, elle reste confiante, et l’imagine babillant dans son beau landau anglais sous le regard attendri de leur mère. Elle lui dit de ne pas s’inquiéter parce qu’il allait bientôt rentrer à la maison ! Il lui sourit comme s’il comprenait ce qu’elle lui dit, et tend ses petits bras vers elle, vers ce toit en matière plastique qui les sépare. Puis un jour elle le voit partir ! Des infirmières poussent son berceau hors de la salle tout en la rassurant afin d'effacer la peur qu'elles lisent au fond de ses yeux. C’est la première fois depuis qu’ils sont hospitalisés qu’ils sont séparés, et elle veut le retenir encore un peu, juste un tout petit moment. Mais les infirmières continuent de lui arracher le cœur en l’entrainant vers la sortie, vers le bloc opératoire. Alors, elle tend ses bras vers lui, elle le rassure, lui dit à tout à l’heure Robert, et il lui sourit, il lui fait des signes de la main. Elle reste devant l’entrée, le suit des yeux jusqu’à ce que la porte de l’ascenseur se referme sur lui. En regagnant son lit, elle jette un œil sur cet emplacement vide, et dit, revient vite, mon petit frère, je t’attends. Mais le temps passe sans qu’il réapparaisse, les infirmières vont, et viennent, mais aucune d’elle ne ramène Robert, elles ont tant d’autres préoccupations. Mais lorsque leurs regards croisent le sien, ils se font compatissants. La petite fille ignore depuis combien de temps Robert est parti, à six ans on ne sait pas encore lire l’heure, et puis d’ailleurs il n’y a pas d’horloge dans la salle. Mais lorsqu’elle voit qu’on met un lit à la place du berceau de Robert, elle s’inquiète, et questionne les infirmières. Certaines lui disent qu’elles ne savent pas où son petit frère se trouve, d’autres qu’il est en train de se reposer dans une chambre. Je veux seulement aller le voir, et ne ferais pas de bruit, s’il vous plaît, dites-moi où il est. Tu ne peux pas aller le voir, Irène, mais c’est bientôt l’heure des visites, et je suis sûre que ton papa saura te rassurer. Alors, elle attend que son papa vienne, et la rassure, c’est tout ce qui lui reste à faire, et elle se remet en position de guet dévisageant chaque parent. Lorsque sa silhouette s’encadre dans l’entrée, son cœur bat plus vite, enfin elle va savoir où est Robert, et tout rentrera dans l’ordre. Lorsqu’il est auprès d’elle, il la serre contre son cœur plus longtemps que d’habitude, et elle se sent si bien qu’elle pourrait rester dans ses bras toute sa vie. Mais lorsqu’il desserre son étreinte, et qu’elle le regarde, elle comprend que quelque chose de grave est arrivé. C’est dans ses yeux qu’elle voit les premiers signes de détresse parce que les petites lumières de qui s’y trouve sont moins brillantes que d’habitude.
Puis elle voit le brassard noir qui entoure la manche gauche de son veston, et elle lui demande pourquoi il a mis ce ruban à son bras. Il s’attendait bien sûr à ce qu’elle lui pose cette question, et la rassure, et changeant de conversation lui parle de sa sortie. Je viendrais te chercher demain matin, maman, Micheline, et Jacques ont hâte de te revoir. Et Robert aussi, j’en suis sûre, lui répondit la petite fille. Il ne sait pas encore parler, mais quand il est content il bouge ses pieds, et ses jambes, et il rit. Son père l’écoute le cœur serré, et se contente de la regarder en silence. Le lendemain matin, après avoir déjeuné, et s’être laissé débarbouiller par une infirmière, elle s’habille, et pour la dernière fois guette l’arrivée de son père. Dès qu’elle le voit, elle court à sa rencontre, et se jette dans ses bras, elle est si heureuse de rentrer à la maison. Lorsqu’ils arrivent, la porte à peine ouverte elle se réfugie dans les bras de sa mère qui la retient un peu plus longtemps que d’habitude. Jacques aussi lui souhaite la bienvenue, il est content de retrouver sa compagne de jeu. Son père est resté près de la porte, il les regarde tous avec tendresse, mais il sait que ce qui va suivre sera un moment très difficile pour tout le monde. Les bras de sa mère à peine desserrés, la petite fille court vers le landau, se hausse sur la pointe des pieds, et reste pantoise, Robert n’est pas là ! Retombant sur ses pieds, elle regarde sur le grand lit, et sur le divan, mais là encore c’est la même chose, le vide. Alors, elle interroge sa mère, et ce qu’elle lit dans ses yeux est semblable à ce qu’elle avait vu dans ceux de son père. Une terrifiante douleur, un chagrin incompressible devant l’absence du tout petit, du dernier né. Jacques ne rit plus, il compatit à son chagrin, et il sait ce que leur mère va lui dire pour la rassurer. Son père regarde l’heure, et dit qu’il doit aller travailler, il esquisse un sourire qui se veut rassurant, et sort. La porte à peine refermée, sa mère l'installe sur le divan, prend une grande inspiration, et cherchant les mots qui rassurent elle lui raconte une belle histoire :
" Robert était très malade, tu sais, et encore si petit pour supporter les deux maladies qui étaient dans sa tête. Les docteurs on fait tout ce qu’ils ont pu pour le guérir, mais ils n’y sont pas arrivés. Alors, l'ange qui se tenait à côté de Robert leur a dit que ce n’était pas de leur faute si Robert ne se réveillait pas. Sa place au paradis des enfants est prête, leur a-t-il dit, là-bas les enfants ne sont jamais malades, et ils s’amusent beaucoup avec les autres angelots. Ensuite, il a pris Robert dans ses bras, a ouvert ses ailes, et tous les deux ont rejoint le ciel.
– Où se trouve le paradis des enfants maman ?
– Quelque part, dans les nuages là où tout est calme comme dans un rêve d'enfant ! Notre Petit prince est parti pour toujours parce qu'il est trop fatigué pour rentrer à la maison. Mais toi, Irène, tu dois retrouver ta bonne humeur de petite fille, la tristesse c’est seulement pour les grandes personnes. Tu comprends ma chérie ? "
Pour toute réponse la petite fille se contenta de lever les yeux vers le ciel cherchant à apercevoir le berceau de nuage où Robert se trouvait. Mais il y en avait tant qu'il lui fût impossible de savoir sur lequel son petit frère se trouvait. Sa mère comprenant son désappointement lui dit lors :
"Irène, d’ici tu ne peux pas voir Robert, mais chaque fois que tu lèveras la tête, et qu’un tout petit nuage traversera le ciel, alors tu sauras que Robert se trouve sur l’un d’eux".
Le décès de son petit frère fut la première approche de la mort ! Il lui faudra grandir de quelques années encore avant de comprendre que les anges, et les nuages n’avaient rien de commun avec elle !
| |
|
|
|
|
|
|
|
À CHEYENNE, MA FELINE AMIE
26/09/2011 09:58
Tu es là, ma belle amie, et tu me fixes de tes grands yeux dans lesquels se reflètent les ors mordorés du soleil. Tu ne dis rien parce que tu es d’une nature secrète, et que les mots ne serviraient à rien pour exprimer l’amour que tu me portes. Certains individus au cœur, et à l’imagination quelque peu réduits ne comprennent pas qu’on puisse parler avec un animal ou une plante. Nous savons pourtant que tout ce qui vit, et respire fait intégralement partie de l’univers, cet espace intemporel dans lequel nous avons emménagé. Nos petits compagnons ont su conserver au fil des siècles une sensibilité que les hommes ont plus ou moins égarée en cours de route. Cheyenne, dans quelques jours, nous fêterons nos six ans de vie commune, six années de grand bonheur mêlé d’amour, et de complicité. Pour toi, c’est presque la moitié de ta vie passer en ma compagnie, et pour moi des années dont je me souviendrais comme des instants privilégiés. Et si j’en crois ce que l’on dit au sujet du comptage des années chat, tu en connais sûrement plus sur moi que moi sur toi. Tu es une personnalité à part entière, et cela t’autorise quelques libertés félines qui échappent à mon entendement, mais que je respecte. Le jour a fait place à la nuit abyssale où se croisent météores, et comètes dans un ballet de lumière, et de chuchotements cosmiques. Les pigeons que tu aimes tant observés, assis en équilibre instable sur le rebord de la fenêtre ont regagné leur abri, et nous voilà encore une fois prêtes à nous laisser glisser vers le pays des chimères. Le soleil sera déjà haut lorsque nous nous éveillerons sur un jour nouveau, et d’autres aventures qui nous réuniront un peu plus dans la complicité de notre relation félin-humain ! Nous poursuivrons alors notre route côte à côte, telles deux amies allant à l’unisson sur les chemins de la vie. J’ai écrit ces mots pour toi il y a environ dix ans, et quelque temps après nous nous sommes envolés pour la Malaisie où hélas ! j’ai dû te laisser. Et depuis plus de six ans, je me demande ce que tu es devenue. As-tu visité Kuala Lumpur où d’autres villes caractéristiques de ce si beau pays baigné de soleil, et de paix. As-tu mis de côté ta sauvage attitude envers les compagnons de ton espèce, et t’es-tu fait des amis avec qui t’amuser ? Je sais que ma question va rester sans réponse, comme tant d’autres d’ailleurs, mais cela fait partie de mon karma. Mon désir de te faire rapatrier ne s’est pas réalisé, mais l’amour qui me lie à toi est toujours aussi fort, et il le restera jusqu’à mon dernier souffle. À bientôt, ma féline amie, dans ce monde ou dans un autre, qui pourrais le dire ?
Commentaire de ptite_ninon (09/11/2012 17:06) :
merci un tres beau texte
|
| |
|
|
|
|
|
|
|
LA TRAVERSEE DE LA VIE
25/09/2011 15:29
J’ai traversé la vie sur un radeau de fortune au gré des vents et des tempêtes non sans connaitre parfois quelques accalmies. J’ai ployé sous les bourrasques, et tanguer en équilibre instable sous les coups de semonce venues des fonds abyssaux, et ai même chaviré corps et biens parfois. Mais jamais je n’ai cessé de remonter à la surface m’accrochant à tout ce qui passait à portée de mains afin de pouvoir continuer ma route. Je me retrouvais après chaque naufrage un peu plus éclopée de l’intérieur, comme de l’extérieur, mais en même temps plus déterminé à trouver mon port d’attache. Nietzsche a dit que tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts ! Je ne sais pas si cela est vrai pour tout le monde, mais pour moi cela s’est avéré exact ! J’ai fini par trouver mon havre de paix, et ai jeté l’ancre sans hésiter ! Ah ! Les souvenirs, ces fugaces clichés restitués par petites touches à la manière d’un kaléidoscope. Que ferions-nous sans eux alors qu’arrivés à l’aube de notre existence, nous pouvons enfin séparer le bon grain de l’ivraie d’une main assurée ? Accoudée, à la rambarde des années je suis des yeux le va-et-vient des rouleaux venant s'écraser sur la plage de ma mémoire. Sur chacun d’eux est inscrite l'histoire de la petite fille qui s’obstine à cheminer aux côtés de la vieille dame de crainte que l’une ou l’autre ne s’égare. S'agissait-il bien de ma vie qui défilait de souvenir en souvenir ou tout simplement de celle d’un flâneur atemporel s'étant fourvoyé sur des sentiers de traverses ? Avais-je vraiment été l’une pour devenir l’autre sans toutefois renoncer à être les deux à la fois ? Le passé et le présent cohabitaient-ils dans le même espace-temps bouleversant les règles les plus élémentaires de l’univers ? La fillette qui voulait devenir grande avant l’heure défiait-elle la vieille dame qui parfois aimerait bien redevenir une petite fille ? Que de questions labyrinthes dont personne ne connait les réponses, et avec lesquelles il me faudrait continuer mon chemin de vie jusqu'à la mort ! Quand, signe du temps passé, les premières rides apparaissent, on se dit que le moment de larguer les amarres est venu.
De levers en couchers de soleil, il m’arrive de distinguer un arc-en-ciel dans lequel se dissolvent les volutes de mes automnes révolus. Jour après jour le temps règle son pas selon ce qui lui reste à parcourir avant de s’arrêter, avant de ne plus être ! Au fond, qu'importe le nombre de kilomètres qu’il me reste à parcourir avant que je n’atteigne l’étoile où l’esprit et le corps se dissocieront ! Le premier rejoindra sa source spirituelle, tandis que l’autre retournera à la poussière de laquelle il est issu. Ainsi va la vie, avec de petits pas hésitants au départ, puis à grandes enjambées à mi-chemin, et à petits pas comptés à l’arrivée !
| |
|
|
|
|
|
|
|
MA PETITE VOIX INTERIEURE
25/09/2011 14:59
Notre présence en ce bas monde n’est pas le fruit du caprice d’un dieu, qui s’ennuyant ferme dans son céleste royaume nous aurait créés pour ne plus être seul. Et toutes ces questions existentielles qui nous submergent, et pour qui la plupart du temps reste sans réponses. En ce qui me concerne, je dirais que plus elles vont, plus mon questionnement se fait présent. Alors, par la magie de la pensée, je fais un saut dans le temps, je redessine d’un trait de pinceau les premières années de ma vie. Je les vois comme des lueurs multicolores pleines de rires qui miroitent au soleil de cette première saison où tout était encore possible. Puis, une ombre passe devant l’astre solaire, elle s’étend comme une menace, je suis plongée dans l’obscurité. Les yeux levés vers le ciel je cherche l’issue par laquelle s’est engouffré la lumière où se jouaient le rayonnement luxuriant de mes éclats de rire. Tu sais bien, me dit alors ma petite voix intérieure, qu’ici-bas rien ne demeure, que la vie est un grand livre sur lequel on ne peut pas revenir. Tu as eu ton premier comptant de bonheur, et tu devrais t’en réjouir au lieu de te lamenter. Tu n’espérais quand même pas entreprendre un voyage au long cours sans rencontrer de tempêtes, sans aborder sur des rives sur lesquelles tu devrais repartir à zéro, semer de nouvelles graines, et attendre la saison des récoltes. Tu es si jeune encore, si démunie face à l’univers, et il te faut apprendre de la joie, comme de la souffrance. Comment pensais-tu grandir, t’épanouir, et vieillir paisiblement sans passer par les différentes étapes de ton itinéraire un à un ? Tu sais bien qu’on ne peut pas revenir sur ce qui a été. La vie est ce que tu en fais, et dans ce domaine je dois dire que tu as fait fort ! Étais-tu donc si désespérée que tu dressais devant chacun de tes pas des obstacles à n’en plus finir ? Tu disais chercher la lumière en t’enfonçant dans les ténèbres, dans la négation de toutes les opportunités qui s’offraient à toi. Tu as fait tes choix, tu en as payé le prix, et en fin de compte tu as fini par retomber sur tes pieds, et la lumière est revenue. Elle a mis du baume sur tes blessures, adouci ton visage de quelques vénérables sillons comme ceux que trace le laboureur pour faire surgir de terre ses récolres.
Tu es devenu le réceptacle d’une infime partie de la connaissance universelle, et il va te falloir encore bourlingué sur d’autres océans avant de trouver l’Éveil. Mais rassure-toi, ton prochain voyage sera plus gratifiant parce que ce que tu as acquis aujourd'hui te servira demain. Ma petite voix intérieure s’est tue, la paix est descendue en moi comme une caresse profonde, et j’ai continué ma route paisiblement.
| |
|
|
|
|
|
|
|
A NOUS DEUX LA VIE
25/09/2011 14:21
C’est ce que je me suis dit quand j’ai ouvert les yeux sur elle, et que je l’ai vue plus grimaçante que souriante que souriante. Je n’avais quand même pas passé neuf longs mois dans les abysses maternels sans savoir ce qui m’attendait à la sortie. Mes deux premiers mois je me suis appliquée à devenir un fœtus qui ressemblerait à cette drôle de chose désignée sous le qualificatif d’être humain. Je ne savais ni ce que cela signifiait, ni ce que cela impliquait, mais n’avais-je le choix ? Puis au cours de ma progression, j’ai reçu plein de signaux qu’il m’a fallu décrypter sans l’aide de qui que ce soit, c’était marche ou crève. Là, par contre j’avais le choix, et j’ai fait celui de marcher parce que j’avais quelques idées en tête que je ne pouvais pas laisser passer. Jour après jour, j’ai laissé mes petites cellules faire leur boulot, après tout, chacun a sa croix ou son bonheur en charge. M’en remettant selon mon état d’esprit à l’un ou à l’autre, je suis devenue d’heure en heure plus structurée, vous voyez ce que je veux dire. J’avais des bras, et des jambes qui s’agitaient dans tous les sens, une tête aussi ronde qu’une nuit de pleine lune, et au milieu un corps tenu en respect par un cordon. C’était par lui que maman me nourrissait, et me transmettait souvent à son insu quelques informations sur ce qui se passait à l’extérieur. Mon approche du monde étant restreinte, j’avais un peu de mal à réaliser ce qui la mettait dans un tel état de stress. N’étant pas en mesure de lui venir en aide, j’ai eu plus d’une fois envie de revenir sur mes pas, mais on ne badine pas avec son karma. Les dés étaient jetés, et il allait me falloir parcourir un long chemin avec au fond de l’âme cette portion de vie intra-utérin. Puis vint le jour, et l’heure de me mettre en route, de commencer mon hallucinante descente vers le monde des hommes. Je dois reconnaître que je fus prise de vertige, et de fébrilité suite à une météo qui serait passée de temps calme à avis de tempête sans crier gare. J’avais beau hisser les voiles, et m’accrocher au cordon pour ne pas me retrouver la tête en bas, rien n’y faisait, j’étais irrésistiblement délogée de mon habitat, et entrainé vers la sortie. J’étais presque arrivée non sans mal au point crucial qui séparait le dedans du dehors quand sans savoir comment je me retrouvais prisonnière du cordon. De nourricier il était passa à étrangleur, et je cru bien ma dernière heure arrivée. J’en étais là de mes déductions morbides quand je me retrouvais brusquement attirée hors des abysses par deux puissantes mains qui me délivrèrent. Je n’étais plus qu’à un doigt de m’en retourner sur mon étoile quand je chavirais une fois encore. En une fraction de seconde, je me retrouvais pieds en l’air, et tête en bas avec en prime ma première, et retentissante fessée. Je fus si indignée que je poussais un retentissant hurlement d’indignation aussitôt réprimé par la sage-femme de l’ombre, madame Shpalienski. Je pensais en avoir appris suffisamment sur le monde durant ces neuf mois de cohabitations maternelles, mais j’étais loin du compte. J’avais probablement alerté tout le quartier de mon arrivée, mais par bonheur aucun de ces méchants dont on avait tout à craindre ne vinrent frapper à notre porte. J’étais déjà une forte en gueule même si je temporiserais durant quelques années avant de l’ouvrir à nouveau. Le premier chapitre de mon histoire était clos, et j’attaquais le second tambour battant. Celui-ci fut écrit en neuf ans et demi comme une symphonie bonheur pour se terminer en une longue, et douloureuse descente aux enfers. L’éclatement de mes structures familiales firent de moi un petit canard boiteux qui essaya de retrouver son équilibre pendant des années. Le troisième chapitre s’inscrivit non pas en lettres de feu, mais en torrents de larmes. Tout mon environnement aurait pu s’y noyer, mais la seule qui s’y perdit, ce fut moi. J’appris à ramer sur l’océan de mes larmes, et j’atteignis les rives de l’adolescence aussi désorientée qu’au premier jour de ma vie. J’étais pourtant entourée d’adultes sensés m’aider à progresser, mais mes difficultés existentielles étaient telles qu’ils ne surent en venir à bout. Le quatrième chapitre de ma vie s’installa non moins tourmenté, et désespéré pour mon entourage, et pour moi. La crise que l’on attribue aux adolescents fut en ce qui me concerna un long, et douloureux passage à vide. Plus une petite fille, et pas encore une femme je naviguais entre l’une, et l’autre sans pouvoir me situer, sans savoir avec laquelle des deux je devais continuer ma route. Ce fut une période de grand désarroi dans laquelle mon regard erra entre terre, et ciel à la recherche d’une réponse. Celle-ci me vint sous la forme d’une rencontre inattendue, mais qui m’aida à prendre conscience de mon identité. Elle remit les horloges de mon existence à l’heure, et m’aida à ranger les photos de l’adolescente boutonneuse dans l’album du passé. Grâce à elle, il me fut permis de faire mes premiers pas vers l’indépendance bien que ce ne fut pas sans dommages. Elle fut pour moi la guide dont j’avais besoin, et fit ce qu’aucune des personnes qui m’avaient eue en charge n’avait réussi à faire. J’inscrivis le numéro cinq à l’histoire de ma vie, et fonçais tête baissée dans la découverte du monde des adultes. Ce fut un apprentissage à risques, et bien souvent périlleux, mais j’eus raison des embûches qui avaient jalonné mon parcours, et en tirais une ardeur nouvelle. Puis, il y eut une parenthèse, une apparition surgie du fond de mes rêves les plus fous, un miracle fait homme qui m’apporta la sérénité dont j’avais tant besoin. Il était celui dont j’aurais besoin pour grandir intellectuellement, pour me trouver. Il m’apprit à appréhender la vie non pas comme quelque chose que l’on ne peut éviter, mais comme un bonheur sans cesse renouvelé. J’aurais voulu le garder contre mon cœur, ne jamais avoir à dénouer mes bras de lui, et le suivre partout où il aurait été. Mais cela n’était pas inscrit dans nos chemins de vie, et à deux reprises je dus le laisser partir, et me laisser intérieurement mourir. Mais avec l’âge, et avec tout ce qu’il m’avait transmis, je retrouvais la force, et la joie de continuer mon chemin en attendant son retour. La vie devint une quête spirituelle qui devait aboutir sur une meilleure compréhension des choses, et des êtres. J’essayais de retrouver un peu de moi dans les autres, et de transmettre un peu de moi aux autres. Je ne sais pas si cela améliore la qualité de mes prochains voyages, mais je l’espère. La saison hivernale de mon voyage étant arrivée avec la sagesse dans mes bagages, j’ai pris le temps de la réflexion. J’ai réalisé que les véritables barrières qui séparent les hommes sont celles que nous mettons souvent involontairement, et non celles que nous croyons êtres. Il suffit de mettre à profit tout ce qu’un jour on a reçu en échange de ce que l’on a donné pour grandir spirituellement. Quarante-neuf ans après, mon alter ego est toujours aussi près de moi que lors de notre cheminement commun.
La vie est pleine de surprises bonnes ou funestes, mais ce n’est jamais sans raison, et nous devons apprendre à en décoder les signaux si nous voulons avancer vers la lumière.
| |
|
|
|
|
|
|
|
PIGALLE OU JE SUIS NEE
25/09/2011 12:56
C’est dans un Paris occupé, et pullulant de collaborateurs que j'ai ouvert les yeux, et que j’ai poussé mon premier cri. Cela s’était déroulé au numéro cinquante-neuf de la rue Pigalle dans le décor pittoresque d'une chambre d'hôtel dont les volets fermés laissaient filtrer la lumière d'un jour d'octobre blafard. Il faut dire que l'époque se prêtait plus volontiers à la mort qu'à la vie, et plus particulièrement pour les porteurs de l'emblématique étoile jaune. Je n’avais pas encore atteint ma troisième année d’existence quand Paris fût libéré ! Ma mémoire encore en rodage remisa ce que j'avais vu et entendu durant cette période afin de laisser le champ libre à ce qui allait suivre. Pendant huit ans et demi, je découvrirais avec une joie grandissante ma famille, toutes ces personnes avec qui j’avais des liens privilégiés. Puis il y aurait une première rupture, qui me déstabiliserait, et une seconde qui sèmerait la pagaille dans ma vie pendant des années. Entre la rue, et la place Pigalle, j’étais aux anges, et j’eus le cœur brisé les rares fois que je dus en franchir les limites. Tout comme Joséphine Baker, moi aussi j’avais deux amours, ma famille, et mon quartier, en deux mots, mon royaume ! Que de belles histoires j’aurais à vous raconter sur la rue, et la place Pigalle, ces deux sœurs siamoises qui menaient une double vie entre le jour, et la nuit ! Quand une partie de la population se levait, l'autre se couchait. Vertueuses demoiselles en compagnie des premiers, elles les accompagnaient dans leurs activités diurnes, et se métamorphosait comme par magie la nuit venue pour les seconds. Les ailes du Moulin de la galette ainsi que celles du Moulin rouge étaient le symbole du divertissement, et de la joie de vivre ! C’était le temps de l’après-guerre, celui où l'on se réjouissait d'être vivant, d'avoir eu plus de chance que les autres même si l’on ne s’en tirait pas sans quelques blessures. Au Moulin rouge, on passait des danses populaires le jour au spectacle de cabaret la nuit. Le champagne coulait à flots, tandis que les danseuses de french cancan levaient allègrement la jambe devant leur public ravi.
Le jet d'eau de la place Pigalle revendiquait son importance dans ce décor magique, et offrait aux badauds sa musique fluide, et cristalline. Georges Ulmer était à l'honneur dans son gazouillis, et le restera alors que le jet d'eau aura disparu emporté dans la tourmente du temps ! Ce faisant, on a volé son âme et comme si cela ne suffisait pas on l’a aussi défiguré, et souillé par l’implantation d’infâme sex-shop ! On a tant, et si bien relooké ce quartier qu'aujourd’hui j’ai bien du mal à m’y retrouver ! Ma jeunesse s’en est allée laissant derrière elle la douceur d’une époque immémoriale. J’ai continué mon voyage existentiel tant bien que mal, souvent plus mal que bien d’ailleurs. Mon corps s’est déplacé en différents lieux, mais mon âme est restée liée à tout jamais dans cette enclave de ma naissance. Si j’avais ouvert les yeux ailleurs qu’à Pigalle, j’aurais sans aucun doute de bons, et mauvais souvenirs à me remémorer. Mais ils n’auraient pas eu la même portée que ceux qui me relient à ce quartier atypique de la capitale. Le temps passe, la mémoire demeure plus ou moins nette, plus ou moins fidèle, et il revient à chacun de se retrouver dans ses dédales. Chaque automne, je refais intérieurement le chemin à l’envers, ce sacrosaint pèlerinage de mes presque dix premières années d'existence. Je mets mes pas de vieille dame dans ceux de la petite fille que j'étais, et je retrouve instantanément ma rue Pigalle d'antan ! C'est tout un univers atemporel qui se déroule devant mes yeux. Le retour à la terre sacré de mes plus belles années d'existence ou personne ne parlait de lutte des classes. Riches, et pauvres se côtoyaient, se saluaient, et prenaient le temps de se connaitre. Ils discutaient de mille petites choses anodines qui permettait à tout à chacun de se sentir vivant ! Tout ce qui avait pignon sur rue avait sa clientèle selon qu’il faisait jour ou nuit. Les premiers bénéficiaient de la clarté du soleil, et les autres de celle des becs de gaz. Mon univers allait de la place Blanche au square d'Anvers qui fait face au Sacré-Cœur. Pigalle fut mon bastion, et c'est en toute sécurité que j’y déambulais. D'abord cet immeuble dans lequel ma famille vécut durant une quinzaine d'années. Puis cette chambre d'hôtel qui surplombe le Caprice viennois, ce cabaret qui traverse le temps comme si celui-ci n’avait aucun impact sur lui. Puis, nous pouvons voir ad vitam aeternam, du sud au nord, l’église du Sacré-Cœur, et celle de la Trinité.
Cela permet aux riverains d'aller indifféremment aux Vêpres à l’église de la Trinité, et faire leurs Pâques à celle du Sacré-Cœur sans qu’il y ait des querelles de clocher ! J’ai chéri ce quartier comme on aime sa patrie, et j’aurai pu prendre les armes pour la protéger ou la défendre si besoin avait été. J’avais l’âme d’un poulbot, les manières d’un titi, et l’allure d’une petite fille sortie tout droit d'un conte de Grimm. Jamais je ne me suis sentie lésée par la vie malgré la misère financière dans laquelle j’ai évolué, j’ai eu tant de compensations en retour ! Des parents que j’adorais, une grande sœur intelligente, et pétillante d’esprit, et un petit frère plein de rires, et de joie de vivre. Durant un peu plus de neuf ans, j’ai fait corps avec ce quartier avec qui j’avais tant partagé toutes ces années. Mais il fallut que la curiosité de Pandora la pousse à ouvrir sa boite pour qu'aussitôt tous les maux de la terre s'éparpillent au vent mauvais de la vie. Et c'est ainsi qu’un jour d’avril mille neuf cent cinquante-deux, tout fut dit pour moi ! Mais ça, c'est une autre histoire !
Pour mémoire : La rue Pigalle porta en mille sept cent soixante-douze le nom de rue Royale, et accueillit le sculpteur Jean-Baptiste Pigalle qui y installa son atelier. Il fût considéré par ses contemporains comme un maitre, son œuvre étant à la charnière des courants baroques, et néoclassiques
| |
|
|
|
|
|
|
|
ENFANTS DE DAVID
24/09/2011 10:24
Ma vie s’estompe déjà dans les brumes de ce qui a été, de ce qui ne sera plus. Elle n’a pas été un long fleuve tranquille ou si peu que chaque période de grand bonheur s’est inscrite à tout jamais dans les recoins de ma mémoire. J’en ai fait un livre afin qu’ils ne s’égarent pas, qu’ils continuent à vivre dans le cœur de mes descendants, de mes amis, et des autres. J’ai appris beaucoup de choses sur les orages, et les soleils existentiels qui bouleversent ou apaisent, et j’ai retenu quelques précieux enseignements. Parmi eux, j’ai retenu que la vie ne donne rien à qui ne revendique rien, et aussi que demander implique de faire des concessions si l’on veut recevoir. Alors je me suis mise au travail, et j’ai passé en revue ce qui m’aiderait à avancer paisiblement jusqu’au bout de ma route. Laissant de côté l’aspect matériel pour ce qu’il est s’il n’est pas porteur de dons, et partages j’ai mentalement dressé la liste de tout ce que je ferais si mes efforts portaient leurs fruits. Et là, tout est soudainement devenu limpide, mes tourments se sont dissipés, le champ de ma vue intérieure s’est élargi, j’avais enfin trouvé ma voie. Mais avant de me jeter corps, et âme dans cette ultime bataille, j’ai décidé de refaire le chemin à l’envers. De repartir là où tout avait commencé pour moi un jour d’automne mille neuf cent quarante-deux.
Jusqu’à environ trois ans, chaque fois que je sortirais avec ma mère, mon regard se portera invariablement sur cette chose jaune qui ralentissait les battements de son cœur. J’en ai sûrement vu bien d’autres, mais encore aux préliminaires de mon existence, je n’en compris pas la signification. Lorsque l’armistice sera signé, et qu’elle disparaitra de toutes les poitrines, je l’occulterais au même titre que toute cette période de ma vie. Ce sera sur les bancs de l’école que j’apprendrais avec stupéfaction, ce qui s’était déroulé durant cette période. De subliminales projections liées à l’étoile jaune se feront jour dans ma mémoire provoquant une sensation de déjà-vu. J’en fus si bouleversée que j’en parlais à ma mère qui resta silencieuse, les yeux perdus dans un ailleurs qu’elle avait partagé avec sa famille, et plus de six millions de coreligionnaires.
Surprise par son silence, je continuais à lui raconter tout ce que j’avais appris sur la Deuxième Guerre mondiale. Quand j’eus terminé mon récit, je vis des larmes perlées sur ses joues, et je pensais qu’elles étaient le fruit de son empathie. Mais quelle ne fut pas ma surprise quand je l’entendis me dire que nous aussi étions les enfants de David. Cette révélation me stupéfia, et je la regardais les yeux agrandis d’incompréhension. Puis la surprise passée, je lui demandais de me parler de nos origines, de notre histoire. Mais elle me dit que pour le moment je devais me contenter de ce que je venais d’apprendre, et ajouta qu’il serait préférable que je n’en parle pas à mes camarades de classe. J’ai grandi avec ce secret jusqu’au jour où je suis partie en Israël, jusqu’au jour où j’en suis revenue. Il faut prendre ce dernier mot dans son sens pratique, et aussi au second degré. Je suis, non seulement rentrée en France, mais aussi revenue au sens idéologique. Je connaissais son histoire qui faisait partie de la mienne, je comprenais qu’il fut sans cesse en alerte, mais ne se laissait-il pas souvent dépassé par ses peurs ? Pensait-il que la paix était au bout du fusil, et non dans la recherche de solutions pacifiques avec le peuple palestinien ? Quarante ans ont passé depuis mon retour, et je constate que la situation ne fait qu’empirer sans laisser la moindre place à des accords de paix.
J’ai traversé la guerre des Six Jours, et ai donné la vie le jour du cessez-le-feu à mon troisième enfant, une petite fille. Nous sommes restées à la maternité de Tel Ashomer que trois ou quatre jours pour laisser la place aux soldats blessés qui étaient légion. Tous ces nouveau-nés, car je ne fus bien sûr pas la seule à être expulsée de la maternité à cette époque, étaient-ils responsables de cet état de choses ? Comme je l’ai souligné dans un autre texte, on peut être de cette terre sans pour autant être d’accord avec sa politique. Nous sommes tels que nous sommes afin de nous accomplir, et si ce que nous sommes nous incommode, le seul moyen d'y remédier est de donner tout ce que nous avons de meilleurs de nous. Notre prochain voyage sera fait de ce que nous aurons fait du précédent alors, pour quoi ne pas faire en sorte que celui-ci soit plus confortable. Le nombre de voyages qu'il nous reste à effectuer avant d'atteindre l'Éveil nous donne la possibilité de nous améliorer, alors, ne laissons pas passer l’occasion d'arriver au terme de ce long parcours à tout jamais lavé de nos erreurs.
| |
|
|
|
|
|
|
|
QUELLE SOMME DE COURAGE
24/09/2011 10:03
Quel courage t’as-il fallu maman, pour accepter de te séparer de nous, alors que nous étions les derniers maillons qui te reliaient encore à ce monde. Je me souviens de ce jour où tu nous remis entre les mains de mademoiselle Zernov avant de disparaitre dans la cohue de la gare d’Austerlitz. Tu marchais la tête haute comme si tu voulais déjà te rapprocher du ciel en t’éloignant de nous un peu plus vite, un peu plus loin. Tu ne laissas rien transparaitre sur ton beau visage de madone martyrisée par tout un enchaînement de désillusions familiales. Tu avais tout parfaitement organisé pour que cette séparation se passât le mieux possible. Il m’aura fallu plus de cinquante ans pour pouvoir en parler avec les mots qui n’étaient plus ceux de la petite fille, pour les apprivoiser, les polir à force de me les répéter. Il m’aura fallu aussi durant toutes ces années apprendre à les exorciser pour enfin pouvoir les coucher sur du papier. C’était le prix à payer si je voulais enfin pouvoir regarder la vie droit dans les yeux, et finir paisiblement ma traversée. Toi, ma petite maman des jours de grands soleils, des jours de pluie, et des nuits d’encre, et d’orages parfois mêlés, tu n’as pas eu cette chance. Tu es partie vêtue de tous ces drames qui avaient marqué à tout jamais ton voyage parce que l’oubli n’était pas inscrit sur ton billet de retour. Tu étais née sous le signe du Lion, et il sut te donner sa force pour faire face à tant de malheurs additionnés. Mais même, le roi des animaux a ses faiblesses, et il suffit parfois de quelques ronces plantées là où cela fait le plus mal pour avoir raison de lui. Durant toutes ces années, maman, tu avais construit des remparts autour de nous afin de nous sécuriser. Cela faisait partie de ton devoir d’amour, et tu l’as fait sans te ménager, sans te poser de questions, laissant seulement parler ton cœur. Puis un jour, tu arrivas à la croisée des chemins, ma princesse en haillons qui ne rêvait que d’or, et de pourpre. L’heure que tu avais tant attendue arriva, tu te laissas glisser sur le toboggan qui relie la terre au ciel, et pour la première fois depuis si longtemps, tu as souri, maman.
| |
|
|
|
|
|
|
|
SI TU ÉTAIS ENCORE PARMI NOUS
24/09/2011 09:49
Tu serais aujourd’hui maman, une merveilleuse vieille dame de quatre-vingt-dix-huit ans, et chaque sillon de ton visage raconterait toute cette vie ardente, et désespérée que tu traversas. Mais ta route avait déjà été si longue, et tu avais traversé avec tant de vaillance les petits malheurs du quotidien comme les grands drames qui vous brisent à tout jamais. Pas à pas, les yeux perdus dans les brumes d'un monde que toi seule étais en mesure de voir, tu arrivas là où ton petit t'attendait. Depuis son départ, tu n'avais jamais eu aucun doute, et c'est ce qui t'avait permis de continuer ta route jusqu'à ce dernier rendez-vous d'amour. Ce vaste carrefour où tout le monde se retrouve un jour ou l'autre, et peuplé d'êtres chers dont certains vous murmurent à l'oreille les mots qu’il vous tardait d’entendre. C'est à ce moment que drapé dans ta solitude intérieure, tu réalisas que ce voyage n'était qu'un au revoir, et non pas un adieu. Je me souviens avoir vu des visions traversées tes magnifiques yeux noisette, des images éphémères de ce temps où Bob était encore des nôtres. Je ne comprenais pas ce qui te bouleversait autant dans ces moments privilégiés qui te reliaient à ton enfant, mais aujourd'hui j’ai compris. Oui, je comprends enfin pourquoi soudainement tu semblais te raccrocher à la vie même si le ciel était ce qui te rapprochait le plus de lui. Dans une semi-conscience de ce temps passé, et de ce temps à venir, tu te réjouissais à l’idée de retrouver cet enfant arraché à tes bras il y avait si longtemps déjà. Ce tout petit enfant que tu n’avais pas eu le temps de voir grandir, mais que tu accompagnas tout au long de ta vie guidée par cette étrange alchimie qui relie à tout jamais une mère à son enfant. Le décès de ton tout petit te laissa exsangue, et ne te donna même pas la possibilité d'aller te recueillir sur une tombe que tu n'avais pas pu lui offrir. Je sais tout cela bien que je ne fus pas à tes côtés afin de t’accompagner jusqu’au bout de la passerelle qui relie le monde d’en bas à celui d’en haut. Il y eut tant de choses maman que nous avons partagée dans d'uniques fous rires qui résonnent encore en moi malgré le temps, malgré l'absence. Et si nous avons ri si fort ensemble, nous avons aussi pleuré dans les bras l'une de l'autre en faisant fi des non-dits qui jalonnèrent notre vie commune. Aujourd'hui, alors qu'à mon tour j'ai la tête chenue, et les épaules qui ploient sous le faix, j'ai tout loisir de revivre par la pensée tout ce qui nous avait à l'époque unie ou désunie. J’arrive enfin à remplir les vides dans lesquels nous nous sommes souvent perdues, et retrouvées. Je peux enfin classer dans le bon ordre les mots qui comblent les silences effrayants qui ont hanté tant de mes nuits. Ces mots que tu aimais tant maman, et que tu aurais dessinés passionnément sur des cahiers d’écolier si seulement tu avais connu tous les mystères qu’ils recelaient. Ces mots passions parfois violents qui s'échappaient de tes lèvres, et qu'aussitôt après tu regrettais. Ces mots qui ne m'étaient pas toujours destinés, mais que je recevais étant ta seule interlocutrice à ce moment. Depuis tout ce temps j’en ai fait provision, et je les écris pour toi parce que ce sont les mots que tu chantais aussi naturellement que je les écris. Oui ! Maman, ces mots que j’ai appris à maîtriser par amour pour toi, je te les offre aujourd’hui au nom de cette traversée de la vie que nous avons accomplie ensemble. Bien que tu as depuis longtemps refermé tes si jolis yeux maman, permets-moi de t'offrir à l’occasion de ton quatre-vingt-dix-huitième anniversaire ce bouquet de mots cueilli avec amour à ton intention. Bon anniversaire maman, flamme éternelle qui me consume, et me purifie au nom de l’amour qui te sauve de l’oubli. Lorsque je ne serai plus de ce monde, on parlera encore de Louba, la belle Ukrainienne afin que demeure à tout jamais le souvenir de ton passage terrestre.
| |
|
|
|
|
|
|
|
LES BATELIERS DE LA VOLGA
24/09/2011 09:38
En ce début de vingtième siècle plein de fureur et de révolte, les bateliers de la Volga ont filé toutes voiles dehors vers les eaux plus sereines de la Seine. Celle-ci venait tout juste de retrouver son calme après quatre ans de guerre mondiale, et c’est dignement qu’elle accueillit les nouveaux arrivants. Poussés par les vents de la révolution prolétarienne, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se retrouvaient disséminés un peu partout sur le vieux continent. Tournant le dos à Moscou, tous ceux qui ne pouvaient s’offrir un trop long voyage mirent le cap en direction de la France, pays des droits de l’homme et du citoyen. Toutes classes confondues, qu’ils portassent belles chaussures ou socques, ils surent s’intégrer à leur nouvel environnement. Hier princes ou paysans, et aujourd’hui chauffeurs de taxi, et parfois de vélotaxis quand ce n’était pas peintres en bâtiment. Mon père cumula ces dernières fonctions avec bonheur, et durant des années maintint sa famille à bout de bras sans jamais se plaindre. Mon père, cet homme généreux, omniprésent auprès de chacun d'entre nous jusqu’à son dernier souffle. Cet homme cultivé, multilingue et ouvert à toutes les avancées technologiques, et qui s’émerveillait devant l’humanité en marche. Comme il me manque chaque jour que Dieu fait, cet homme sur qui je m’appuyais chaque fois que la vie me déséquilibrait. Toujours rassurant même lorsqu’il était en colère, il était celui sur qui l'on pouvait toujours compter. Mon père, ce descendant des cosaques était né en octobre mille neuf cent dix à Rostov-sur-le-Don. Il quitta la Russie entre sept, et huit ans pour s'envoler vers le Brésil d'où il reviendra avec plus de souvenirs que de la Russie où il était né. En route pour le Brésil, l’enfant qu’il était allait devenir un étudiant studieux, et doué avant de devenir un jeune homme brillant, et attachant. En Russie, son père était ingénieur dans la marine, lui serait architecte, enfin c’est ce qu’il espérait. Il était à deux doigts d’obtenir son diplôme lorsqu’il doit renoncer à ses rêves. L’effondrement du cours de la bourse de Wall Street les ruine, et sans ce statut de classe qu’ils avaient en arrivant, ils se voient contraints de quitte le pays. Ils vont rejoindre l’Europe, et plus particulièrement la France, ce grand pays proche géographiquement de la Russie. Ce sera leur dernier port d’attache, le bout du chemin entre leur pays d’origine, et le Brésil. Mais pour mon père ce serait également l’endroit magique où il allait rencontrer l’amour de sa vie, ma mère. Deux familles issues de la petite bourgeoisie qui s'uniraient à travers les liens sacrés du mariage de leurs enfants. Mon père ne me parla jamais de ses parents, il ne me raconta pas non plus les quelques souvenirs qui lui restaient de son éphémère terre natale qu’il avait quittée de si tôt. C’était pourtant un homme de communication qui savait manier les mots, et faire de belles phrases, mais il avait aussi ses limites. Ses premières années en Russie, et au Brésil ainsi que tout ce qui avait un rapport avec mon petit frère trop tôt disparu feraient partie de son jardin secret. Ce sera le seul barrage qui restera dressé entre nous, l’unique partie de notre lien d’amour qui me fera toujours défaut. Mais grâce à Dieu, j’ai réussi à emmagasiner de merveilleux souvenirs de ce bout de chemin que j’ai fait en sa délicieuse, et si précieuse compagnie. Ils sont notre histoire commune, et c’est à travers elle que j’ai appris à faire face à l’adversité, à me consolider. Aussi loin que ma mémoire me permette d’aller, je ne vois que tendresse infinie, patience à toute épreuve devant mes nombreuses incartades, et don de soi total pour sa famille. Aussi, je peux extraire de mon album mnémonique mille et un bonheurs qu'il avait l’art, et la manière de faire surgir de sa manche. Tout en lui était pure allégresse. C’était sa façon de nous dire qu'il nous aimait tous sans distinction, et quoiqu’il arrive. Mon père, cet homme de bien qui traversa son siècle parfois avec perte, et fracas, mais sans jamais rien perdre de ce qui faisait sa force, fut un homme d’honneur. Nous ne faisons que passer sur terre, mais ce que nous laissons derrière nous fait toute la différence ! Ce qu’il laissa derrière lui fait ce que je suis aujourd’hui, sensible à tout ce qui ne va pas bien autour de moi, tenace dans tout ce que j’entreprends. Ce n’est pas en moi qu’il avait placé tous ses espoirs de réussir là où il avait échoué, mais je fais de mon mieux pour ne pas être en reste. Mon père, cet homme de bien a quitté ce monde il y a de cela une trentaine d’années, mais son esprit est toujours présent dans ma vie. Il continue du haut de son étoile à veiller sur moi comme il l’avait toujours fait de son vivant. J’espère qu’un jour il sera fier de moi comme je suis fière de lui, et ce jour sera ma plus grande victoire d’amour, et je la lui dédierais.
| |
|
|
|
|