Quel courage t’as-il fallu maman, pour accepter de te séparer de nous, alors que nous étions les derniers maillons qui te reliaient encore à ce monde. Je me souviens de ce jour où tu nous remis entre les mains de mademoiselle Zernov avant de disparaitre dans la cohue de la gare d’Austerlitz. Tu marchais la tête haute comme si tu voulais déjà te rapprocher du ciel en t’éloignant de nous un peu plus vite, un peu plus loin. Tu ne laissas rien transparaitre sur ton beau visage de madone martyrisée par tout un enchaînement de désillusions familiales. Tu avais tout parfaitement organisé pour que cette séparation se passât le mieux possible. Il m’aura fallu plus de cinquante ans pour pouvoir en parler avec les mots qui n’étaient plus ceux de la petite fille, pour les apprivoiser, les polir à force de me les répéter. Il m’aura fallu aussi durant toutes ces années apprendre à les exorciser pour enfin pouvoir les coucher sur du papier. C’était le prix à payer si je voulais enfin pouvoir regarder la vie droit dans les yeux, et finir paisiblement ma traversée. Toi, ma petite maman des jours de grands soleils, des jours de pluie, et des nuits d’encre, et d’orages parfois mêlés, tu n’as pas eu cette chance. Tu es partie vêtue de tous ces drames qui avaient marqué à tout jamais ton voyage parce que l’oubli n’était pas inscrit sur ton billet de retour. Tu étais née sous le signe du Lion, et il sut te donner sa force pour faire face à tant de malheurs additionnés. Mais même, le roi des animaux a ses faiblesses, et il suffit parfois de quelques ronces plantées là où cela fait le plus mal pour avoir raison de lui. Durant toutes ces années, maman, tu avais construit des remparts autour de nous afin de nous sécuriser. Cela faisait partie de ton devoir d’amour, et tu l’as fait sans te ménager, sans te poser de questions, laissant seulement parler ton cœur. Puis un jour, tu arrivas à la croisée des chemins, ma princesse en haillons qui ne rêvait que d’or, et de pourpre. L’heure que tu avais tant attendue arriva, tu te laissas glisser sur le toboggan qui relie la terre au ciel, et pour la première fois depuis si longtemps, tu as souri, maman.