Quand il m’arrive d’avoir l’âme en déroute, quand tout se bouscule dans ma tête, je me réfugie à l’époque où j’étais petite fille. Mes souvenirs sont flous comme de vieilles photos surannées, mais ta voix, maman, ta si jolie voix aux accents de ton pays d’Ukraine leur redonnent vie. C’est comme un rayon de soleil après l’orage, comme un baume de tendresse qui me parcourt, et m’emporte une soixantaine d’années en arrière. Alors, je lève les yeux vers cette étendue bleutée, et je te dis, chante pour moi, maman, oui chante pour moi.
Je ferme les yeux, et je me laisse glisser dans cet espace qui n’est pas encore le ciel, et déjà quasiment plus la terre. Je suis entre deux mondes, entre tes bras, maman, et je n’ai d’yeux que pour toi, et d’oreilles que pour ta voix. Je suis si petite, si désorientée, mais tu es là pour me rassurer, pour me serrer contre ton cœur. Alors, je mets mes yeux dans les tiens, je tends vers toi mes mains, et je te dis dans un soupir, chante pour moi maman, chante pour moi.
Je vois des lumières traverser son regard noisette, elle me sourit, et toutes mes peurs se dispersent dans le souffle du vent venu du fin fond des steppes. C’est la saison des semailles dans son beau pays d’Ukraine, les blés vont bientôt lever leurs têtes blondes vers le soleil, et se laisser caresser par le vent qui retourne dans la taïga. Elle n’avait que trois ans quand elle s’en est allée chasser de son pays par la révolution, ses souvenirs sont ceux que ses parents lui ont transmis. Mais elle a su leur donner des couleurs, et des mots, et je ne me lasse pas de l’entendre chanter pour me raconter son histoire. Chaque fois que mon âme dérive vers d’obscures contrées, je me tourne vers maman, et je lui dis chante pour moi, maman, oh ! Oui, chante encore pour moi.